Un écart de caractère à combler

Nous aimons tous nous croire de bonnes personnes. Mais le sommes-nous vraiment ?

The Character Gap : How Good Are We ? (Écart de caractère : sommes-nous vraiment de bonnes personnes ?)

Christian B. Miller. 2018. Oxford University Press, New York. 296 pages.

Il ne faut pas chercher loin pour trouver des cas de médiocrité de caractère. Que ce soit dans les actualités, la politique, les divertissements ou la culture populaire, on trouve apparemment d’innombrables histoires de gens au comportement horrible. Mauvais traitements, infidélité, corruption, inconduite et tout un tas d’autres vices semblent prévaloir.

Du moins, ils prévalent quand nous regardons les autres. Si nous arrêtons de regarder la société en général pour nous intéresser à nos amis, notre famille et nous-même, le tableau semble globalement plus rose. Nous avons tendance à croire que ce groupe est composé de bonnes personnes, attentionnées, fiables, dignes de confiance.

Sur ce point, nous nous trompons cependant, d’après Christian Miller, professeur de philosophie à l’université de Wake Forest (Caroline du Sud). Dans son tout dernier ouvrage, The Character Gap : How Good Are We ? (Écart de caractère : sommes-nous vraiment de bonnes personnes ?), C. Miller entreprend d’explorer la dichotomie entre ce que nous pensons de nous-même et l’individu que nous sommes réellement. Nous pouvons bien reconnaître qu’analyser notre caractère avec exactitude est un vrai défi. Cependant, Miller énonce la thèse surprenante selon laquelle « la plupart des gens n’ont en fait aucune vertu, de même que la plupart des gens n’ont en fait aucun vice ».

Est-ce qu’il peut en être ainsi ?

Pour défendre sa position, Miller examine des publications de recherches, en rassemblant plusieurs études de psychologie comportementale (dont certaines financées par son unité de recherche en caractérologie, The Character Project) dans le but de comprendre le type de décisions morales que les gens prennent réellement dans la vie. Une partie importante du livre explore ensuite les points forts d’études montrant que, dans diverses situations, des individus sont soit plus cruels soit plus gentils que l’on pourrait s’y attendre.

C. Miller relate tout particulièrement un travail dans quatre domaines principaux où nous exprimons notre caractère (pour le meilleur ou le pire) : aider, nuire, mentir, tricher.

Certains des essais contrôlés qu’il mentionne présentent des résultats étonnants. Par exemple, non seulement nous constatons un pourcentage honteusement faible de volontaires pour aider autrui en cas de problèmes simples, mais même parmi les réactions les plus louables en situation, les volontaires peuvent sembler inspirés autant par des déclics d’ordre environnemental (comme une odeur de gâteaux sortant du four) que par un engagement profond en faveur d’un comportement responsable. Pourtant, en parallèle, lors d’expériences conçues pour sonder nos capacités d’empathie, les chercheurs ont décrit des comportements altruistes, ce qui est plus encourageant.

Miller réunit ces résultats de recherches en plusieurs chapitres pour montrer qu’on ne peut pas faire une séparation nette entre les bons et les méchants. Chacun est une créature complexe avec des domaines dans lesquels on réussit plus ou moins bien. Selon Miller, rares sont ceux qui, invariablement, ont un bon comportement émanant de motivations toujours louables. De même, il est rare (heureusement) de trouver quelqu’un qui s’adonne à toutes les formes de dépravation en étant mû par les instincts les plus bas.

« Pour la plupart, nous nous comportons admirablement dans certaines situations puis, à l’inverse, nous adoptons un comportement déplorable dans d’autres. »

Christian B. Miller, The Character Gap : How Good Are We ?

« En conséquence, il me semble que la majorité des gens ont des caractères qui ne sont ni vertueux ni vicieux. Ils appartiennent plutôt à un espace intermédiaire entre vertu et vice », conclut Miller.

L’affirmation n’a rien de révolutionnaire. Ce qui, a priori, se voulait apparemment une provocation perd beaucoup de son impact quand la revendication, une fois révélée, apparaît en grande partie comme une objection à une catégorisation trop réductrice.

Cette frustration est relativement représentative de l’ouvrage dans son ensemble qui, en permanence, répugne à faire valoir une thèse avec assurance, préférant constamment une approche « d’un côté, et de l’autre ». L’exploration du caractère par un philosophe est certes forcément nuancée, mais pour un livre présenté surtout comme une exploration d’études empiriques pertinentes, il laisse le lecteur frustré de ne tirer que de maigres conclusions concrètes. Il a tendance à répéter, sous des formulations diverses, que « la science n’en est pas encore là », ce qui donne l’impression d’un livre qui n’était pas absolument prêt à être écrit.

Cette propension se manifeste peut-être plus particulièrement dans le dernier chapitre, où Miller explore la valeur potentielle d’une assistance divine. Quant aux preuves empiriques de l’avantage d’un engagement religieux pour le développement du caractère, les exemples cités dans l’étude s’intéressent en grande partie à la corrélation entre des mesures de religiosité (présence à l’église, fréquence de la prière, etc.) et des facteurs tels que le niveau de stress, la réussite aux examens et l’implication dans une organisation étudiante. Par nécessité, l’auteur doit admettre que ce ne sont que des études corrélationnelles et, de plus, inapplicables sans doute à une analyse de la vertu.

Cela ne veut pas dire que le livre est sans apport utile. Dans une synthèse de sa recherche, Miller compose plusieurs stratégies possibles d’amélioration du caractère. En s’appuyant sur cette base empirique (entre autres critères clés), il les classe en catégories qu’il estime moins porteuses (attendre simplement de mûrir naturellement, encouragement psychologique à un comportement vertueux, etc.) et plus porteuses (rechercher des modèles de comportement moral, faire très attention aux situations rencontrées, etc.).

Pour le fidèle de Jésus-Christ, que Miller aborde dans son chapitre de conclusion, plusieurs de ces stratégies s’inscriront effectivement parmi les approches porteuses. Le livre des Proverbes évoque fréquemment le fait de se tenir loin des situations et des gens qui peuvent nous entraîner sur un mauvais chemin. En outre, la Bible est indubitablement riche d’exemples de beau caractère moral, aucun n’étant plus éminent que Jésus lui-même.

« C’est une bonne chose, et même une très bonne chose, d’être une bonne personne. L’excellence de caractère, le fait d’être vertueux, c’est ce que nous devrions tous rechercher. »

 

Christian B. Miller, The Character Gap : How Good Are We ?

Cependant, quelque peu dissimulée au milieu des stratégies « moins porteuses » de Miller, se trouve une approche confortée empiriquement qu’il ne faudrait pas négliger. Même si elle n’est qu’un « coup de pouce » à la vertu, elle semble efficace.

Dans son exploration des recherches sur la tricherie, Miller se réfère à des études qui ont mesuré une réduction significative de la triche aux interrogations écrites si les sujets étaient assis à côté d’un miroir ou bien si, avant l’examen, on leur rappelait le code d’honneur de l’école ou les Dix Commandements. Les deux conditions constituent un ensemble intéressant. Miller prétend que, même s’il peut être tentant de tricher à notre avantage, nous avons aussi envie de paraître moralement honnêtes aux yeux des autres et de nous-même. Mais comme il le fait remarquer, « face au miroir, il n’y a pas beaucoup de place pour se cacher. Un miroir m’oblige à me confronter à mes actes, que je le veuille ou non. [...] Nous pouvons voir maintenant pourquoi le rappel des Dix Commandement ou la signature d’un code d’honneur a tant d’influence. L’un comme l’autre nous exposent nos croyances morales dont nous voulons foncièrement nous montrer dignes. »

Dans le même ordre d’idée, l’apôtre Jacques a conseillé les lois de Dieu à ses lecteurs du premier siècle, en les enjoignant d’agir concrètement, pas seulement d’écouter.

« Car, si quelqu’un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s’être regardé, s’en va, et oublie aussitôt comment il était. Mais celui qui aura plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui aura persévéré, n’étant pas un auditeur oublieux, mais se mettant à l’œuvre, celui-là sera heureux dans son activité » (Jacques 1 : 23‑25).

Une analyse précise du caractère est possible pour ceux qui font de la loi divine un miroir. Comme Jacques l’explique, des rappels réguliers peuvent servir, mais l’action concrète est la clé.

Bien sûr, il n’est pas aisé de cultiver un caractère qui satisfait ce principe. Pour reproduire le caractère moral de Jésus, il faut se rappeler qu’il s’est construit sur le respect et même l’extension de la loi que son Père et lui avaient exposée longtemps auparavant.

Heureusement, les fidèles ne restent pas désarmés pour atteindre cette exigence. Comme le note Miller, Jésus a promis une aide puissance pour y parvenir. En soulignant l’importance permanente de la loi, il a dit à ses disciples :

« Si vous m’aimez, gardez mes commandements. Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité » (Jean 14 : 15‑17a).

Le consolateur spirituel, présenté dans les Écritures d’origine non comme une personne mais comme la puissance divine, peut entrer en contact et œuvrer avec un esprit humain pour produire de la croissance à travers l’obédience.

Comme C. Miller le décrit, l’image « est celle d’une coopération humaine et divine sur le chemin qui permet de devenir des personnes dotées d’un caractère bon ».