Les chemins de la paix ?
Deux hommes d'État américains offrent des approches différentes sur la politique étrangère pour le 21ème siècle.
Il y a différentes façons d’observer l’état du monde. Par conséquent, lorsqu’on en vient aux affaires internationales, les leaders proposent des politiques étrangères différentes pour créer et préserver la paix pour leurs nations.
Les deux approches les plus courantes, l’idéalisme et le réalisme ainsi que leurs descendants, le néolibéralisme et le néoréalisme, sont illustrées par deux anciens professeurs à Harvard et leaders au sein du gouvernement américain, à savoir Henry Kissinger et Robert McNamara.
En tant que ministre de la Défense sous les administrations de Kennedy et de Johnson, McNamara fut au centre de l’implication américaine au Vietnam. Cependant, dès 1966, il commença à remettre en question le rôle de l’Amérique, et ces dernières années, il a renié le soutien qu’il avait montré pour les efforts de guerre, croyant que l’escalade désastreuse de ce conflit était en grande partie due à une mauvaise analyse des deux camps. En d’autres termes, l’Amérique n’avait — à son avis — pas besoin d’intervenir comme elle l’a fait. S’il pouvait revenir en arrière, il rechercherait la paix de façon différente. Il ne s’engagerait pas dans le bain de sang qui a eu lieu des deux côtés. Il trouverait l’occasion de promouvoir un engagement moral afin d’arrêter rapidement la guerre.
Aujourd’hui, après avoir été entre-temps président de la Banque mondiale, McNamara est dévoué à réduire les risques de conflits, de meurtres et de catastrophes au 21ème siècle. Son nouveau livre, cosigné avec James Blight, professeur en relations internationales, a pour titre Wilson’s Ghost (le fantôme de Wilson) en référence aux conseils pour la paix du président américain pendant la Première guerre mondiale. Woodrow Wilson était un idéaliste qui croyait que les questions morales devaient dominer dans la prise de décisions. Ce fut essentiellement les efforts de paix du président qui fournirent à l’Allemagne la solution de la paix sans victoire. Le travail inlassable de Wilson visant à établir la Société des Nations inspire McNamara et Blight ; ils y voient là le seul chemin vers un avenir paisible pour une planète qui vit encore dans l’ombre nucléaire.
Tout comme Blight, Kissinger a aussi une formation en sciences politiques. Dans les années 60, il était professeur d’administration gouvernementale à Harvard. Mieux connu en tant qu’assistant aux affaires de sécurité nationale sous Nixon et plus tard en tant que secrétaire d’État, il fut inévitablement mêlé à la guerre du Vietnam. Ayant été au début du conflit un farouche partisan de la guerre, il remporta le prix Nobel de la paix en 1973 conjointement avec le négociateur nord-vietnamien Le Duc Tho (qui refusa le prix) en reconnaissance des accords de cessez-le-feu qu’ils avaient conclus. Néanmoins, Kissinger est un réaliste dans la tradition d’un autre président américain, Theodore Roosevelt (voir « Les mentors des hommes modernes »).
Pragmatique et principes
Dans leurs efforts pour assurer la sécurité, les réalistes suivent des options politiques basées sur le flux et le reflux du pouvoir au sein du système international des nations. Dans son nouveau livre intitulé Does America Need a Foreign Policy? (L’Amérique a-t-elle besoin d’une politique étrangère ?), Kissinger affirme qu’il est d’une importance capitale que l’Amérique, en tant que seule superpuissance, choisisse ses intérêts et aussi où elle devrait intervenir ou ne pas intervenir. C’est d’abord et avant tout une approche motivée par la pragmatique.
Pour Kissinger, ce n’est pas tant une question de principes moraux universels, c’est surtout une question de prendre soin des intérêts nationaux de l’Amérique dans un monde compromis par la recherche du pouvoir inhérente à la nature humaine.
Pour Kissinger, ce n’est pas tant une question de principes moraux universels, c’est surtout une question de prendre soin des intérêts nationaux de l’Amérique dans un monde compromis par la recherche du pouvoir inhérente à la nature humaine.
L’idéalisme, d’un autre côté, croit que l’intérêt mutuel crée une harmonie naturelle entre les nations. Ses partisans soutiennent le développement d’organisations et de structures internationales afin de limiter toute recherche de pouvoir irresponsable de la part d’un État-nation. De façon néo-libérale, l’idéaliste McNamara ajoute que le monde est plus interdépendant que l’ancien monde européen qui était constitué d’État-nations indépendants. Les idéalistes modernes désignent l’Internet, les médias, l’environnement commun, le commerce et les investissements mondialisés comme des preuves que le monde est différent et plus intégré — que c’est un monde tenant beaucoup à promouvoir la paix par des moyens non militaires.
L’homme politique de coercition reconnaît ces réalités contemporaines mais ne croit pas qu’elles soient des clés fondamentales pour la paix. Pour l’idéaliste, en revanche, ce n’est pas seulement une question d’intérêt national et de « l’équilibre des pouvoirs » entre les nations. McNamara montre l’aptitude des nations à parfois coopérer dans leur intérêt respectif. Il croit que cela prouve bien que la paix peut être obtenue sans la guerre. Ce n’est qu’en dernier recours que l’idéaliste utilise la force, et même dans ce cas, c’est selon un accord multilatéral dans un cadre international.
Sujets d’inquiéude
Les craintes de McNamara sur l’avenir viennent des pertes catastrophiques de vies humaines qui ont eu lieu au siècle dernier. Wilson’s Ghost évoque le spectre du président moraliste dans le rôle de prophète. Au lendemain de la guerre, en 1919, Wilson affirma : « Le libéralisme doit être plus libéral que jamais, il doit même être radical si la civilisation veut échapper au typhon […] Je n’hésite pas à dire que la guerre que nous venons de traverser, même si elle fut remplie de toute sorte de terreur, n’est rien par rapport à la guerre que nous aurions la prochaine fois. »
Les paroles de Wilson furent étrangement prémonitoires. Le conflit mondial de 1939-1945 qui s’ensuivit avec sa conclusion atomique éclipsa totalement la Première guerre mondiale, insondable en quelque sorte par son carnage. Les guerres internationales qui suivirent ont seulement servi à démontrer la capacité humaine apparemment incontrôlable au développement technologique pour répandre la mort.
La menace d’un holocauste nucléaire est au premier plan dans le scénario de McNamara pour le 21ème siècle. Par conséquent, il croit que deux impératifs, moral et multilatéral, doivent guider la politique étrangère et de défense de l’Amérique dans ce siècle. L’impératif moral exige que le gouvernement américain fixe comme objectif principal de sa politique étrangère « d’éviter dans ce siècle le carnage — 160 millions de morts — causé par les conflits du 20ème siècle ». L’impératif multilatéral correspondant exige que les États-Unis reconnaissent qu’ils « doivent apporter leur leadership pour atteindre l’objectif qui est de réduire le carnage mais, ce faisant, qu’ils n’appliquent pas unilatéralement leur pouvoir économique, politique et militaire, sauf dans des circonstances peu probables de défense du territoire continental, d’Hawaii et de l’Alaska ». De plus, il croit que la politique étrangère à travers le monde devrait adopter le même impératif moral, comme c’est en ce moment le cas à la suite des attaques terroristes du 11 septembre sur le World Trade Center et le Pentagone.
Dans le débat classique entre idéalistes et réalistes, aucun des deux partis n’accorde normalement à l’autre beaucoup d’espace. Cependant, dans sa nouvelle analyse, Kissinger note que « dans les relations entre les États-Unis et l’Europe occidentale ainsi qu’au sein du monde occidental, les idéaux historiques de l’Amérique ont une applicabilité considérable. Là, la version idéaliste de la paix basée sur la démocratie et le progrès économique démontre sa pertinence ». Il constate aussi que la complexité actuelle du système international « rend quelque peu hors de propos le débat traditionnel américain sur la nature de la politique internationale. Que les valeurs ou la puissance, l’idéologie ou les raisons d’État soient oui ou non les déterminants clés de la politique étrangère, dépend en fait de la phase historique dans laquelle le système international se trouve ».
Qu’il soit impossible d’appliquer une quelconque solution globale pour les problèmes internationaux est dû au fait qu’il y ait quatre conditions régionales diverses et concurrentes. Alors qu’il n’y a plus de guerres entre les économies démocratiques de marché des États-Unis et de l’Europe, il existe ailleurs des situations différentes. Au sein des grandes nations d’Asie actuelles, par exemple, la rivalité stratégique signifie qu’il y a un réel danger de guerre. Ce n’est pas imminent mais ce n’est pas impossible dans un avenir proche. Au Moyen-Orient, les différences idéologiques ont bloqué les participants dans ce qui ressemble à une guerre religieuse européenne du 17ème siècle. Et dans l’Afrique post-coloniale, où 46 nations opèrent avec peu ou pas d’unité au milieu de problèmes ethniques, sociaux et économiques qui s’aggravent, une anarchie presque totale règnera probablement pendant les prochaines décennies.
Les concessions de Kissinger faites au côté idéaliste du débat dans une arène internationale sont évidemment insuffisantes pour rapprocher les deux partis vers un arrêté global sur la paix. Et il a raison de se méfier des notions idéalistes d’une paix favorisée par la moralité internationale. L’histoire du 20ème siècle montre clairement que la Société des Nations a échoué spectaculairement dans le souhait de son créateur que le conflit de 1914-1918 serait « la der des ders ». Et alors que le successeur de la Société des Nations, les Nations Unies, a connu plus de succès pour créer une coopération internationale, il n’ a pas réussi non plus à éviter un demi-siècle de guerres qui ont éclaté depuis ses débuts.
Le problème central
À l’origine du débat idéaliste-réaliste, il y a une vérité qui perdure et qu’aucun des partis n’ignore — ils approchent le débat simplement avec des perspectives différentes : l’ennui, c’est la nature humaine. Les réalistes ont une vue essentiellement pessimiste de la nature humaine. Les idéalistes croient en sa bonté fondamentale.
Henry Kissinger dirait que c’est précisément la raison pour laquelle les notions idéalistes de paix par la moralité sont vouées à l’échec. Vous ne pouvez pas empêcher que les humains, et donc les nations qu’ils représentent, ne soient autre qu’égocentriques.
L’idéaliste McNamara dirait que si nous n’imposons pas une restriction morale sur la nature humaine, nous verrons alors au 21ème siècle encore plus de gens tués que lors du très violent 20ème siècle, où des dizaines de millions de personnes — la plupart d’entre elles des civils — sont mortes à la guerre. Nous devons donc rechercher des solutions pour la paix basées sur la moralité afin d’éviter de telles guerres catastrophiques.
Si la nature humaine constitue le problème, la question est de savoir comment s’en occuper. L’histoire des tentatives effectuées par l’humanité en ce sens ne donne pas raison d’espérer beaucoup. Nous devons admettre que nous n’avons pas encore trouvé de méthode pour apprivoiser la nature humaine. Selon une source, durant les derniers 6000 ans, l’humanité a seulement connu 300 ans de paix mondiale. Albert Einstein a un jour dit, comme chacun sait, qu’il est plus facile de dénaturer le plutonium que de changer la nature humaine.
Se pourrait-il que nous soyons en train de chercher une réponse qui ne peut provenir du niveau humain ? La nature humaine peut-elle être contenue par nos propres ressources ? Qu’est-ce que la nature humaine exactement, et quelles sont ses origines ?
La vérité à notre sujet
Une question pertinente provient du Nouveau Testament : « D’où viennent les luttes, et d’où viennent les querelles parmi vous ? » Voici la réponse selon les mots de l’apôtre Jacques : « N’est-ce pas de vos passions qui combattent dans vos membres ? Vous convoitez, et vous ne possédez pas ; vous êtes meurtriers et envieux, et vous ne pouvez pas obtenir ; vous avez des querelles et des luttes » (Jacques 4 : 1-2).
La nature humaine est ici décrite comme étant principalement égoïste. Quoi qu’elle soit parfois capable de faire le bien pour autrui, elle est assimilée à la protection, la préservation et le développement du moi et de son petit monde. Tout ce qui est nécessaire pour arriver à ces fins motive les humains dès leur enfance. Nous pouvons affirmer que les êtres humains, à la naissance, sont dans un état neutre, n’ayant ni de bons ni de mauvais désirs. Même si le nouveau-né recherche faiblement de la nourriture pour survivre, et qu’il a l’instinct de la rechercher, il est mal équipé pour défier quelqu’un qui aurait cette nourriture ou pour la partager. L’impulsion agressive et possessive vient avec le temps. L’égoïsme se développe pendant que nous grandissons. Au contact d’autrui, il se peut que nous apprenions à contrôler cet égoïsme mais il réapparaît presque toujours selon les circonstances.
Le monde occidental a pu bénéficier de la tradition judéo-chrétienne qui enseigne ce qu’est la nature humaine et comment elle peut être changée. Jésus de Nazareth avait ceci à dire sur notre état d’esprit de base : « Car c’est du dedans, c’est du cœur des hommes, que sortent les mauvaises pensées, les adultères, les débauches, les meurtres, les vols, les cupidités, les méchancetés, la fraude, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la folie. Toutes ces choses mauvaises sortent du dedans, et souillent l’homme » (Marc 7 : 21-23).
Les anciens prophètes hébreux ont aussi identifié la nature humaine. Il y a une vérité indéniable dans les propos de Jérémie lorsqu’il affirme que « le cœur est tortueux par-dessus tout, et il est méchant : qui peut le connaître ? » (Jérémie 17 : 9).
Ésaïe dévoilent les effets d’une nature humaine agissant à sa guise lorsqu’il dit : « Leurs pieds courent au mal, et ils ont hâte de répandre le sang innocent ; leurs pensées sont des pensées d’iniquité, le ravage et la ruine sont sur leur route. Ils ne connaissent pas le chemin de la paix, et il n’y a point de justice dans leurs voies ; ils prennent des sentiers détournés : quiconque y marche ne connaît point la paix » (Ésaïe 59 : 7-8).
D’un point de vue biblique, l’idéal réalisable est que les nations posent leurs armes de guerre et qu’elles apprennent en même temps de nouvelles façons de penser. Cette prescription pour la paix se trouve dans un autre passage prophétique dans le livre d’Ésaïe et ces mots sont gravés à la base de la statue bien connue se trouvant devant le bâtiment des Nations Unies à New York : « Il sera le juge des nations, l’arbitre d’un grand nombre de peuples. De leur glaives ils forgeront des hoyaux, et de leur lances des serpes : une nation ne tirera plus l’épée contre l’autre, et l’on apprendra plus la guerre » (Ésaïe 2 : 4).
C’est la confirmation de la philosophie de Woodrow Wilson que le successeur de la Société des Nations ait accepté le cadeau de la statue portant la prescription biblique pour la paix. C’est un idéal qui reconnaît les craintes réalistes et les enterre.
Se transformer ou se conformer
La seule façon de traverser l’impasse créée par la nature humaine consiste à changer d’attitude. Le changement que la Bible indique est une transformation fondamentale de l’état d’esprit et de l’attitude qui est mise en marche par une source extérieure.
Avant son changement d’attitude, l’apôtre Paul était selon ses propres termes « un blasphémateur, un persécuteur, un homme violent » (I Timothée 1 : 13). Il a fini par réaliser que même motivé par le zèle religieux, il était du mauvais esprit. C’est avec une conviction profonde qu’il écrit : « Et l’affection de la chair, c’est la mort, tandis que l’affection de l’Esprit, c’est la vie et la paix » (Romains 8 : 6).
Cette affection de l’Esprit, dit-il, ne vient que de l’influence active de Dieu sur les humains à travers son Saint-Esprit. Il est mis à disposition en outre pour conquérir l’attraction que la nature humaine exerce vers la bassesse. Paul nous encourage : « Soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Romains 12 : 2).
Le chemin de la paix, est-ce l’idéalisme ou le réalisme ? C’est en fait ni l’un ni l’autre. La paix deviendra le chemin des nations seulement lorsque la prophétie d’Ésaïe sur l’arrêt de la fabrication d’armes et de la guerre elle-même se réalisera. Entre-temps, la paix durable peut individuellement venir de l’intérieur lorsque l’Esprit de Dieu est actif à l’intérieur.