Prends soin de mes brebis
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(PARTIE 12)
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Ce tour d’horizon des apôtres de Jésus nous ramène une fois de plus au personnage dominant de Pierre. On trouve la première partie de sa biographie dans les quatre Évangiles (voir la série Les Évangiles pour le 21ème siècle). Le milieu de sa vie est relaté dans le livre des Actes des Apôtres (voir les trois premiers articles de la série Les Apôtres). Cependant, d’autres livres du Nouveau Testament nous livrent des éléments complémentaires sur sa vie et son enseignement.
Jésus en personne donna à Simon, un pêcheur de Galilée, le nom que nous lui connaissons généralement : « l’ayant regardé, [il] dit : Tu es Simon, fils de Jonas ; tu seras appelé Céphas (ce qui signifie Pierre) » (Jean 1 : 42, Nouvelle édition de Genève 1979 pour cet article). Ces deux noms, respectivement d’origine araméenne et grecque, ont le même sens (pierre ou roche). Pierre est aussi appelé Simon, fils de Jonas (Matthieu 16 : 17), ainsi que Simon ou Simon Pierre (Jean 1 : 40 ; 2 Pierre 1 : 1).
Si l’Évangile de Marc est effectivement antérieur aux autres – ce que pensent de nombreux chercheurs – c’est donc là que nous rencontrons Pierre initialement. Sinon, les allusions répétées à « Céphas » dans l’épître de Paul aux Galates pourraient constituer la toute première mention écrite de l'apôtre, certains spécialistes étant convaincus que la lettre de Paul a été adressée à l’Église de Galatie avant que les évangiles ou toute autre épître n’aient été rédigés. De plus, Paul utilise systématiquement cette appellation (voir 1 Corinthiens), sauf à de rares exceptions dans la lettre aux Galates.
Paul précise que, trois ans après sa conversion, il alla à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et y demeurer quinze jours avec lui (Galates 1 : 18 ; voir aussi Actes 9 : 26‑30).
À cette époque, aux débuts de l’histoire de l’Église, Céphas ou Pierre est identifié comme le point de contact principal, ce qui paraît logique à divers titres. Comme Paul l’écrira plus tard, Céphas fut le premier témoin apostolique de la résurrection de Christ : « Je vous ai enseigné avant tout, comme je l'avais aussi reçu, que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; il a été enseveli, et il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ; et il est apparu à Céphas, puis aux douze. » (1 Corinthiens 15 : 3‑5).
C’est ce qui est indiqué et attesté dans les récits évangéliques. Ainsi, on dit aux femmes qui s’étaient rendues au tombeau, mais l’avaient trouvé vide : « Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié ; il est ressuscité, il n'est point ici ; voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée […] » (Marc 16 : 6‑7). Là encore, Pierre est singularisé.
Le texte de l’apôtre Jean est semblable ; il souligne lui aussi le rôle de Pierre au moment de la découverte de la résurrection de Jésus (Jean 20 : 1‑8).
De même, l’évangéliste Luc mentionne Pierre en rapportant comment deux hommes avaient rencontré Jésus ressuscité sur le route qui menait de Jérusalem au village voisin d’Emmaüs. Il avait fallu qu’ils s’assoient pour partager leur repas avec Jésus et que ce dernier disparaisse de leur vue pour qu’ils prennent conscience de l’identité de l’étranger qui les avait accompagnés. Abasourdis, « [s]e levant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés et disant : Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon » (Luc 24 : 33‑34).
LE MILIEU DE SA VIE
Lorsque Paul retourna à Jérusalem au bout de quatorze ans, il rencontra de nouveau Pierre. En revanche, il s’agissait cette fois de régler un différend croissant au sein de l’Église primitive : le principe selon lequel, pour devenir partisans de Jésus, les non-juifs devaient être circoncis. Paul avait prêché que la circoncision physique n’était pas indispensable pour les adultes gentils croyants. Afin de s’assurer que son enseignement était en accord avec celui que les autres apôtres dispensaient à Jérusalem, il alla les voir en personne. Voici la conclusion qu'il relate : « voyant que l’Évangile m’avait été confié pour les incirconcis, comme à Pierre pour les circoncis […], Jacques, Céphas et Jean […] me donnèrent, à moi et à Barnabas, la main d’association, afin que allions, nous vers les païens, et eux vers les circoncis. » (Galates 2 : 7‑9).
On remarque que Céphas n’est plus le seul apôtre cité nommément. Il est indiqué ici aux côtés de deux autres, Jacques étant énuméré en premier. Sans doute à cette époque, Jacques, le frère de Jésus, apparaissait-il clairement comme le chef de l’Église de Jérusalem pendant que les apôtres se déplaçaient.
« Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible. »
Dans sa lettre aux Galates, Paul s’efforce de mettre les congrégations sur le droit chemin concernant quelques points doctrinaux. Il y fait référence à l’histoire de l’Église naissante afin de défendre l’idée que son enseignement auprès d’eux est effectivement en accord avec l’enseignement officiel. Il mentionne Céphas en particulier car, pour défendre l’obligation de circoncision, ceux qui critiquaient Paul auraient pu utiliser le mauvais exemple qu’il donnait. Il précise : « Mais lorsque Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu’il était répréhensible. En effet, avant l’arrivée de quelques personnes de l’entourage de Jacques, il mangeait avec les païens, et, quand elles furent venues, il s’esquiva et se tint à l’écart, par crainte des circoncis. » (Galates 2 : 11‑12).
À ce moment-là, Pierre manifestait donc à l’égard des gentils convertis une partialité qui ne répondait ni à sa foi ni à son expérience. Du fait de son hypocrisie, il en conduisait d’autres, tel Barnabas, à se détourner du bon chemin. Pour résoudre le problème, il fallut que tous se conforment à la décision prise lors d’une assemblée spéciale à Jérusalem (voir Actes 15). Paul, Barnabas et Pierre y relatèrent comment les gentils s’étaient finalement convertis. En s’appuyant sur leurs informations, ainsi que sur le débat avec les apôtres et les anciens, Jacques, l’autorité à Jérusalem, conclut que la circoncision ne devait pas être imposée aux adultes non juifs qui se convertissaient.
La réconciliation entre Pierre et Paul est manifeste ici. À l’évidence, leur relation était fraternelle. Elle allait perdurer au-delà des traits humains propres à chacun. À la fin de sa vie, Pierre pouvait parler de son condisciple comme de « notre bien-aimé frère Paul » (2 Pierre 3 : 15). D’autres références à Pierre figurent dans des textes de Paul montrant leur amitié (voir 1 Corinthiens 1 : 12 ; 3 : 22). Ce dernier fait aussi une digression intéressante attestant de la situation conjugale de Céphas : « N’avons-nous pas le droit de mener avec nous une sœur qui soit notre femme, comme font les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas ? » (1 Corinthiens 9 : 5).
« Après qu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ne m'aiment ceux-ci ? Il lui répondit : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux. »
L’Évangile de Jean relate comment Christ mit Pierre à l’épreuve lors d’un échange qui finit par contrarier ce dernier (Jean 21 : 15‑17). Lui apparaissant après sa résurrection, Jésus l’interrogea sur la qualité de sa dévotion : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu plus que ne m'aiment ceux-ci ? ». Puis deux fois encore : « Simon, fils de Jonas, m'aimes-tu ? ». Lorsque, par deux fois, Pierre eut répondu « Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime », Jésus lui ordonna : « Pais mes agneaux », puis « Pais mes brebis ». Jean note que « Pierre fut attristé de ce qu'il lui avait dit pour la troisième fois M'aimes-tu ? », ce à quoi il répondit « Seigneur, tu sais toutes choses, tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : Pais mes brebis ». Ce dialogue apporta à Pierre une leçon essentielle qui allait être appliquée au fil du temps pendant l’essor de l’Église. En outre, Jésus lui annonça que son existence de berger ne serait pas facile et qu’en fait, il la paierait au prix fort, c'est-à-dire de sa vie : « quand tu seras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et te mènera où tu ne voudras pas » (montrant ainsi la sorte de mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu). Après avoir prononcé ces mots, il lui dit : « Suis-moi. » (versets 18‑19). À l’instar de Jésus, Pierre allait finir sa vie en martyr.
C’est là un point important à comprendre. Si nous voulons être de véritables disciples de Christ, il faut que nous le fassions selon ses désirs, non en fonction de nos propres priorités. Voilà ce que Pierre devait apprendre.
LES LETTRES DE L’APÔTRE
En étudiant le récit du Nouveau Testament pour découvrir des détails concernant la dernière partie de la vie de Pierre, nous trouvons deux lettres marquantes portant son nom. Cependant, certains ont douté qu’elles soient de lui en invoquant plusieurs arguments. Ces derniers sont toutefois réfutables. En ce qui concerne la première épître, la bible d’étude de l’édition English Standard Version présente arguments et réponses.
Selon l’une des objections, un pêcheur galiléen n’aurait pas écrit aussi correctement le grec. La réponse est que Pierre était originaire d’une Galilée interculturelle où on parlait le grec. Selon une deuxième objection, sa théologie ressemble trop à celle de Paul ; cet argument est plutôt amusant, puisqu’on prétend souvent que l’apôtre des juifs et l’apôtre des gentils avaient des théologies très différentes. La réponse à l’objection est qu’il n’y a absolument rien d’étrange à ce que deux disciples de Jésus aient des convictions identiques. En fait, c’est à cela qu’il faut s’attendre. D’après un autre argument, le Pierre des lettres cite la Septante, tandis que le vrai Pierre aurait utilisé les Écritures hébraïques. Mais pourquoi n’aurait-il pas employé l’Ancien Testament en grec alors qu’il écrivait à des hellénistes ? Selon une quatrième objection, des sceptiques affirment que Pierre était déjà décédé au moment de la rédaction de la première épître puisque celle-ci traduit, à leur avis, des événements qui se sont déroulés dans l’Empire romain à la fin du premier siècle. Pourtant, il n’existe aucune preuve intrinsèque pour étayer cette hypothèse. Enfin, on dit que Pierre ne se réfère pas suffisamment à Jésus pour prouver qu’il était le Pierre qui l’avait connu. Ce à quoi il est répondu qu’il s’agit d’une lettre courte dont l’objet est spécifique. Pour autant, Pierre fait bien mention des enseignements de Jésus, comme nous allons le voir.
La première lettre est introduite ainsi : « Pierre, apôtre de Jésus-Christ, à ceux qui sont étrangers et dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l'Asie et la Bithynie, et qui sont élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l'Esprit, afin qu'ils deviennent obéissants, et qu'ils participent à l'aspersion du sang de Jésus-Christ : Que la grâce et la paix vous soient multipliées ! » (1 Pierre 1 : 1‑2).
Le texte fut probablement rédigé au début des années 60 de notre ère, sous le règne de l’empereur Néron. Il s’adresse aux adeptes de Jésus répartis dans les régions centrale et septentrionale d’Asie mineure, juste au sud de la mer Noire (appartenant actuellement à la Turquie).
La lettre débute de façon similaire à l’épître de Jacques. Elle est destinée à des croyants qui étaient en majorité des gentils (même si elle vise sans doute aussi des juifs) habitant dans une zone de la diaspora où des juifs s’étaient implantés depuis au moins deux siècles après avoir quitté leur ancienne patrie. Un commentateur note que Pierre s’adresse à ses lecteurs comme s’ils étaient des juifs partisans de Jésus. L’ordre des provinces énumérées reflètent peut-être le cheminement rationnel qu’un messager aurait emprunté pour s'y rendre.
Pierre était en train de poser d’importants fondements de connaissances pour les croyants. Il vieillissait et peut-être sentait-il qu’il lui restait peu de temps (ce qui apparaît plus nettement dans la seconde lettre). C’est pourquoi il instaure ici les vérités fondamentales afin d’aider chacun à continuer malgré les difficultés. Dans les versets d’ouverture, son insistance, alliée à l’accentuation donnée par la structure grammaticale, indique que ce n’est pas lui qui est important : ce sont les lecteurs, appelés et élus. Il leur rappelle la grande invitation réservée à certains seulement. Il précise qu’il s’agissait de la dernière ère de gouvernement humain puisque, dorénavant, Christ était venu (1 Pierre 1 : 3‑5) ; ils vivaient donc dans la sphère située entre son premier et son second avènement. C’est cette conviction qui soutient le peuple de Dieu lorsque l’adversité survient dans ce monde. Face aux épreuves, l’espoir en l’avenir les encourage. Tests et épreuves sont reconsidérés à la lumière de la promesse de la seconde venue de Christ (1 Pierre 1 : 6‑9).
Pierre savait qu’un partisan de Jésus était susceptible d’atténuer parfois la valeur de ces épreuves. Pourtant, il affirma que celles-ci existent pour notre bien – notre apprentissage – et qu’elles nous profiteront pour l’éternité. L’invitation à être un disciple s’appuie sur les connaissances spirituelles que Dieu a révélées petit à petit. Nos prédécesseurs ne savaient pas ce qui est connu depuis que Christ est venu une première fois. Pierre expliqua que « [l]es prophètes, qui ont prophétisé touchant la grâce qui vous était réservée, ont fait de ce salut l'objet de leurs recherches et de leurs investigations ; ils voulaient sonder l'époque et les circonstances marquées par l'Esprit de Christ qui était en eux, et qui attestait d'avance les souffrances de Christ et la gloire dont elles seraient suivies. Il leur fut révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils étaient les dispensateurs de ces choses, que vous ont annoncées maintenant ceux qui vous ont prêché l'Évangile par le Saint-Esprit envoyé du ciel, et dans lesquelles les anges désirent plonger leurs regards. » (1 Pierre 1 : 10‑12).
L’accomplissement de cette vérité devait éveiller un esprit convaincu de la nécessité de vivre une existence différente de celle que vit le monde environnant. La traduction moderne prête à Pierre l’expression suivante : « ceignez les reins de votre entendement » (1 Pierre 1 : 13). Elle reprend le verbe grec pour l’action d’enrouler autour de la taille le long habit revêtu à cette époque. On retrouve la même idée et le même verbe dans l’Évangile de Luc citant Jésus : « Que vos reins soient ceints, et vos lampes allumées » (Luc 12 : 35). Le verset dans la première Épître de Pierre est l’un des endroits où apparaît l’enseignement de Jésus. De plus, l'apôtre rappelle aux lecteurs le but de leur conduite : « Comme des enfants obéissants, ne vous conformez pas aux convoitises que vous aviez autrefois, quand vous étiez dans l'ignorance. Mais, puisque celui qui vous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite, selon qu'il est écrit : Vous serez saints, car je suis saint. » (1 Pierre 1 : 14‑16).
L’un des avantages de ce savoir tient à ce que les croyants peuvent en appeler à Dieu le Père dans sa justice impartiale. Le sacrifice de son Fils signifie que, quoi que nous fassions de mal dans cette vie, cet acte peut être effacé si nous recherchons le pardon divin (1 Pierre 1 : 17‑21). Ce faisant, nous visons à devenir de plus en plus semblable au Père. C’est pourquoi nous devons nous tenir prêts en esprit.
« Toute chair est comme l'herbe, Et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe. L'herbe sèche, et la fleur tombe ; Mais la parole du Seigneur demeure éternellement. »
Lorsque l’Esprit de Dieu opère en nous, l’un des effets indirects est l’aptitude à aimer les frères et sœurs qui partagent les mêmes idées. Grâce à lui, nous pouvons aussi prendre conscience que cette vie n’est pas tout ce qui existe ; en fait, elle n’est rien en comparaison de notre destin, et cette vérité nous nourrit : « Ayant purifié vos âmes en obéissant à la vérité pour avoir un amour fraternel sincère, aimez-vous ardemment les uns les autres, de tout votre cœur, puisque vous avez été régénérés, non par une semence corruptible, mais par une semence incorruptible, par la parole vivante et permanente de Dieu. Car toute chair est comme l'herbe, et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe. L'herbe sèche, et la fleur tombe ; mais la parole du Seigneur demeure éternellement. Et cette parole est celle qui vous a été annoncée par l'Évangile. » (1 Pierre 1 : 22‑25).
Au chapitre 2, Pierre approfondit la discussion sur la responsabilité mutuelle. C’est là que nous reprendrons la fois prochaine.
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