Voir la face de Dieu
Les représentations artistiques de dieux et de divinités se sont entrelacées au cours de l’histoire et à travers les civilisations. Les idées de l’Égypte ancienne sur les dieux, les déesses et l’au-delà étaient illustrées par des images apparaissant sur les sarcophages et les décorations des murs de tombeaux. De façon similaire, les temples, les rues et les maisons étaient remplis, dans les cultures mésopotamienne, grecque et romaine, de rappels visuels de leurs dieux.
Ce n’est pas le cas du Dieu de la Bible, qui affirme être le Tout-Puissant, qu’aucun artiste ne peut représenter. En effet, le deuxième commandement interdit expressément et condamne l’adoration d’images.
À la fin du septième siècle, l’Église avait adopté une position qui était contraire à celle de l'Église ancienne. Cette décision importante dans l’histoire de l’art et de l’Église eut lieu en 692 au concile in Trullo. Dans son canon 82, le concile « décret[a] que la représentation humaine de l’Agneau qui ôte le péché du monde, Christ notre Dieu, soit désormais exposé sous la forme d’images, et non sous la forme de l’agneau ancien » (Philip Labbe et Gabriel Cossart, Sacrosancta Concilia 6.1124).
À partir de cette époque, l’art chrétien a commencé son lent voyage de l’art de Byzance stéréotypé, cependant coûteux, avec son choix étroit de représentations et de styles ainsi que son manque général d’imagination artistique et de créativité. Et finalement le réalisme épanoui de la Renaissance arriva, avec Mantegna, Michel-Ange, Léonard de Vinci, Botticelli, Correggio, Raphaël et les maîtres plus tardifs tel que Rubens, Titien et Gian Lorenzo Bernini.
Mais tout d’abord il y eut le huitième siècle et la période iconoclaste (destruction de représentations) de l’Empire romain oriental, période pendant laquelle le progrès de la représentation littérale s’est heurté, de manière compréhensive, à une résistance considérable. Ordonnant la destruction des images religieuses à la fois dans les Églises et les maisons, l’empereur byzantin Léon III (717-741) – chrétien orthodoxe à tous égards – chercha à anticiper les forces en marche de l’islam, qui considéraient un certain genre d’art chrétien comme étant blasphémateur.
Les actions de Léon le mirent en conflit avec les primats de l’Église occidentale, Grégoire II et Grégoire III. En 787, dans une résolution terminant la première période iconoclaste, le deuxième concile oecuménique de Nicée établit une différence entre l’image et la personne représentée par l’image. C’était une distinction subtile, mais une distinction que tout le monde n’allait pas accepter, à l’époque ou à l’heure actuelle.
Une seconde période moins iconoclaste, dans la première partie du neuvième siècle, se termina par la réaffirmation de la décision du deuxième concile de Nicée. Par la suite le premier dimanche du grand carême célébra le « triomphe de l’orthodoxie » en Occident, et l'Église orientale établit sa « fête de l’orthodoxie ». À présent, les iconoclastes étaient les hérétiques.
Une vraie ressemblance ?
Différents thèmes commencèrent à faire leur apparition une fois que l’iconographie fut sanctionnée par les deux branches de l'Église. Des icônes officielles du « Christ Pantokrator », ou « Maître de toutes choses » à la manière d’un souverain et d’un juge, sont apparues à partir du 10ème siècle et pendant tout le reste de la période byzantine.
Pendant ce temps, les notions de ce à quoi le Christ ressemblait prirent une certaine assurance, grâce à l'apparition de certaines « vraies ressemblances miraculeuses ». Au Moyen-Âge, peu de personnes doutaient de connaître enfin l’apparence du Christ. Les pèlerins affluaient à la basilique Saint-Pierre à Rome pour regarder son image sur le « voile de Véronique », ou sudarium. D’après la légende, une femme nommée Véronique avait offert un voile au Christ, afin qu’il puisse essuyer son visage de la transpiration sur son chemin menant à la crucifixion. Il était dit que sa « vraie image » (du latin vera icon, d’où provient, peut-être par un jeu de mots, le terme « Sainte Véronique ») s’était miraculeusement imprimée sur le voile. Véronique est un personnage apparaissant dans la version latine des « Actes de Pilate », une œuvre du deuxième siècle traitant de la mort du Christ. Dans la version grecque, elle est appelée Bérénice et l’on prétend que c’était la femme que Christ guérit d’un problème de perte de sang (Marc 5 : 25-34), même si la Bible elle-même n’identifie pas clairement la femme.
Dante écrivit quelques années après l’année sacrée de jubilé de 1300, époque où les pèlerins vinrent voir le voile de Véronique : « Mon seigneur Jésus-Christ vrai Dieu, ainsi était donc votre visage ? » (Le paradis, chant XXXI).
Véronique apparaît dans La procession au calvaire, une peinture à l’huile de Ridolfo Ghirlandaio, datant de 1505 et représentant Christ qui porte la croix. Il lui donne le voile sur lequel apparaît clairement l’image de son visage. Le voile de Véronique fut également représenté par des artistes comme Albrecht Dürer et Francisco de Zurbarán, ainsi que tout un groupe d’artistes de moindre importance du 15ème siècle qui, associés à des marchands, gagnèrent leur vie seulement en vendant des images de même style aux pèlerins.
L’âge d’or de l’art religieux occidental dura environ du 10ème au 18ème siècle, d’innombrables statues, peintures murales, fresques, peintures à l’huile et livres explicatifs ayant été commandés ou crées en tant qu’œuvres de piété. Les sujets favoris étaient basés, bien évidemment, sur les fêtes de Noël et de Pâques, célébrant la nativité et la crucifixion.
La face moderne de l’iconoclasme
Quelle que soit votre opinion sur l’iconographie, il n’y a aucun doute que certaines des plus grandes œuvres, en terme de compétence pure et de qualité, ont été produites autour des thèmes religieux représentant Dieu (en particulier le Christ) et ses relations avec l’humanité. La plupart des artistes, vivant à des époques où la croyance religieuse était incontestée, ont produit des œuvres religieuses – certains même ne faisant que des œuvres religieuses. Il est difficile de penser à un maître comme Michel-Ange sans considérer son impressionnant plafond panoramique de la chapelle Sixtine ou ses pietà poignantes en marbre.
La Réforme protestante fut l’un des facteurs qui rompirent le charme de l’iconographie pour la plus grande partie du monde occidental. Les Anglais eurent leur propre période iconoclaste pendant le protectorat d’Oliver Cromwell au 17ème siècle, de nouveau basé sur le deuxième commandement. Les fanatiques puritains brûlèrent, écrasèrent ou mutilèrent beaucoup d’icônes et d’édifices religieux.
À partir du 20ème siècle, l’art fut autant utilisé pour remettre en question et ridiculiser les idées portant sur Dieu que pour les exalter. À l’heure actuelle, nous constatons toujours plus de banalité, de trivialité, d’irrévérence et de blasphème de la part de certains artistes. Et dans ce siècle cynique, la question de savoir si l’outil iconoclaste le plus puissant est la force brute ou le scepticisme moqueur, est discutable.
Le visiteur de la National Gallery de Londres trouvera l’une des collections de tableaux à thème chrétien les plus vastes du monde. Par contraste avec la National Gallery et ses chefs-d’œuvre pesants, l’exposition itinérante intitulée « 100 Artists See God » (100 artistes voient Dieu) à l’Institut d’Art Contemporain, au début de l’année 2005, comportait de nombreuses références à Dieu, indirectes ou frivoles, mais peu de graphiques. Parmi elles, il y avait un tableau d’un urinoir surnommé Sans titre (Dieu) et une femme nue, lévitant au-dessus d’un prêtre faisant ses dévotions et une grenouille crucifiée en bois. L’armoire à pharmacie pleine de médicaments de l’artiste anglais Damien Hirst a soulevé la question de savoir si Dieu voit, comprend ou se soucie des souffrances humaines. Alors que l’art religieux est souvent galvaudé et abrutissant, cette exposition peut être considérée comme étant dépourvue de tout intérêt – religieux, artistique ou intellectuel. Comme un commentateur l’a résumé, « les artistes ne paraissent plus capables de regarder Dieu en face. »
Pourtant la question de la validité de la représentation artistique comme un moyen de nous rapprocher de la vérité spirituelle, ne se limite pas aux cent dernières années. La question a été débattue bien avant l’existence du christianisme. Trevor Hart note dans son essai Beholding the Glory, (Voir la gloire) : « L’artiste […] commence à regarder le monde autour de lui, et ensuite, à partir de sa force d’observation, il offre une certaine perception de ce monde pour notre appréciation. Mais, comme Platon le fait remarquer, l’art, en agissant ainsi, nous éloigne un peu plus de la vérité car une copie d’une copie est vouée à être plus pâle et moins à la hauteur que la copie originale. »
Adoration ou idolâtrie ?
Le christianisme est la seule religion parmi les trois principales religions monothéistes à adopter des représentations de Dieu. Pour le judaïsme et l’islam, de telles représentations sont blasphématoires. Que devons-nous faire de cette pratique chrétienne qui est clairement condamnée dans la Bible ?
La réponse est la même que pour tant d’autres thèmes : l’imposition de la chrétienté sur un monde païen a eu lieu aux dépens de vérités qui étaient évidentes pour l’Église qui succéda immédiatement aux apôtres du Christ.
Le fait que l’Église du premier siècle était résolument contre les images de Dieu rappelle les Dix Commandements donnés à Moïse et Israël au Sinaï. Et cette fermeté contraste franchement avec la capitulation aux icônes et images d’une Église ultérieure très différente.
Juste avant que Moïse ait réitéré les Dix Commandements, alors que la nouvelle génération d’Israélites s’apprêtait à entrer en Terre sainte, il précisa : « Et l’Éternel vous parla du milieu du feu ; vous entendîtes le son des paroles, mais vous ne vîtes point de figure, vous n’entendîtes qu’une voix » (Deutéronome 4 : 12).
Dieu n’a pas souhaité d’images de lui-même et il n’a pas souhaité non plus que son image soit gravée dans l’esprit des Israélites. Il voulait plutôt que ses paroles retentissent à leurs oreilles et à leurs cœurs. Des siècles plus tard, les paroles du Christ ont prouvé que le même Dieu souhaitait le même genre d’adoration. Jésus déclara : « Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité » (Jean 4 : 23-24).
Les images et les statues qui prétendent représenter le Père, Christ ou Marie sont des distractions qui mènent à une impasse religieuse. Une grande partie de l’art religieux et son imagerie a soutenu des concepts erronés qui ont retenu les gens captifs d’enseignements et de dogmes très éloignés de la religion de Moïse et du Christ. Si nous regardions la volonté et le dessein de Dieu à travers ses paroles plutôt qu’à travers des siècles flous d’imagerie religieuse banale, nous pourrions en effet commencer à voir réellement Dieu – à son image et non à la nôtre.