La vision d’Ésaïe
Les messages du prophète Ésaïe visaient principalement la nation de Juda, bien qu’il ait aussi adressé des avertissements à Israël et même aux nations voisines. Mais en définitive, il délivra un message d’espérance et de paix universelle.
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(PARTIE 23)
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Comme nous l’avons vu dans cette série, une partie de l’histoire de l’ancien Israël recoupait les déclarations de ses nombreux prophètes. Parmi « les derniers prophètes », appelés ainsi simplement parce qu’ils viennent après « les premiers prophètes » dans le canon hébraïque, se trouvent Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel. Leurs activités prophétiques se sont étalées sur près de deux cents ans, pendant lesquels les royaumes divisés d’Israël et de Juda ont sombré dans un déclin spirituel irréversible et ont subi des exils séparés en Assyrie et à Babylone.
Ici, nous commencerons par un panorama de la première de ces trois œuvres prophétiques les plus longues de la Bible. Le rôle des prophètes était de communiquer les appels à une transformation personnelle et nationale ainsi que les messages de jugement et de restauration ultime transmis par Dieu.
Message d’Ésaïe
À la suite de son appel, vers 740 avant notre ère, Ésaïe exerça pendant environ quarante années en Juda et à Jérusalem. Même si l’on trouve des références au royaume d’Israël du Nord et au rétablissement final des deux maisons recombinées en maison d’Israël, Ésaïe s’intéressait surtout au royaume de Juda. L’introduction de son livre délimite les périmètres historique et prophétique de son travail. « Vision d’Ésaïe, fils d’Amots, qu’il eut sur Juda et Jérusalem, aux jours d’Ozias, de Jotam, d’Achaz, d’Ézéchias, rois de Juda » (Ésaïe 1 : 1, Nouvelle Bible Segond).
« Dans les livres d’Ésaïe et de Jérémie, des passages suggèrent que ces prophètes étaient conseillers auprès des rois de leur époque. »
Par « vision », nous pouvons entendre tout ce qu’il a « vu » et avait à transmettre dans son livre, afin d’accomplir une mission d’avertissement à l’encontre d’un peuple devenu rebelle envers son Dieu. Parmi les autres termes utilisés pour présenter les annonces d’Ésaïe, on peut lire « paroles » (de Dieu) et « oracle » de sinistres prophéties (sentences).
Les propos d’ouverture du prophète portent sur la rébellion des enfants d’Israël : « Cieux, écoutez ! terre, prête l’oreille ! Car l’Éternel parle. J’ai nourri et élevé des enfants, mais ils se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître : Israël ne connaît rien, mon peuple n’a point d’intelligence » (versets 2‑3, Nouvelle édition de Genève 1979 dans cet article, sauf indication contraire). Ils se sont rebellés alors qu’ils avaient promis autrefois, par alliance, de respecter Dieu et de lui obéir (Exode 24 : 7‑8). « Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit, et nous obéirons », avaient-ils assuré à Moïse.
S’ils ne se repentaient pas, Ésaïe devait les prévenir du jugement encouru, mais aussi communiquer la promesse divine de restauration et de paix universelle (Ésaïe 1 : 16‑17, 20, 24‑27 ; 2 : 1‑4). Au chapitre 2, verset 4, nous lisons ces paroles d’avenir citées bien souvent : « De leurs glaives ils forgeront des hoyaux, et de leurs lances des serpes : une nation ne tirera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre. »
Hormis l’intérêt immédiat pour Juda, les premiers chapitres d’Ésaïe introduisent un autre thème, le jour du jugement de Dieu sur toute l’humanité (2 : 4a, 12‑21).
On note souvent que le livre d’Ésaïe peut être divisé en deux grandes parties : les chapitres 1 à 39 et 40 à 66. Le prophète est nommément cité dans le récit en 2 : 1, 7 : 3 et 13 : 1, ainsi que dans les chapitres 20 et 37 à 39. Les intellectuels débattent sur le fait qu’un seul individu soit à l’origine de la totalité du livre, certains y voyant un deuxième auteur, voire un troisième, ainsi que divers correcteurs ultérieurs. Cela ne nous empêche aucunement de comprendre les fondements posés dans les deux premiers chapitres et développés par la suite.
Avertissement pour Juda
On peut considérer que les chapitres 6 à 12 sont une autre expression essentielle du message d’Ésaïe. Cette partie commence ainsi : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône très élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple » (Ésaïe 6 : 1).
Malgré la vocation et la mission du prophète, les membres de Juda se montraient peu coopératifs, car ils avaient des oreilles qui n’entendaient pas (versets 9‑10). C’est pourquoi ils allaient devoir affronter l’hostilité d’une alliance conclue entre la Syrie et le royaume du Nord, pendant le règne d’Achaz, petit-fils d’Ozias (7 : 1‑7 ; 8 : 6‑7 ; 9 : 7‑20).
À ce stade, dans une prophétie, Ésaïe annonça au roi qu’Israël, mené par Éphraïm, disparaîtrait : « Encore soixante-cinq ans, Éphraïm ne sera plus un peuple » (Ésaïe 7 : 8b – Le rôle du prophète auprès d’Achaz, alors que Juda affrontait l’invasion assyrienne, trouve un parallèle dans l’histoire ultérieure du roi Ézéchias, vers qui Ésaïe sera envoyé ; comparer les chapitres 7 et 37). Juda pouvait être épargné si Achaz se fiait à Dieu, sinon le peuple subirait le châtiment des Assyriens (Chapitre 8).
L’Assyrie et les royaumes d’Israël et de Juda
Dans la géopolitique du VIIIe siècle, la période de prophétisation d’Ésaïe coïncide avec l’expansion de l’Empire assyrien qui résulte de campagnes lancées contre ses voisins.
Sous Tiglath-Piléser III, aussi appelé Pul (745‑727 av. notre ère), les Assyriens envahirent la Syrie et la Phénicie. En conséquence, certains royaumes indépendants, dont l’Israël du Nord, furent astreints à un tribut (2 Rois 15 : 19‑20). Dans les années 734‑732, Tiglath-Piléser marcha contre les tribus d’Israël situées au nord et le plus à l’est, faisant beaucoup de captifs (versets 29‑31).
À cette époque, Juda subit des pressions quand Dieu laissa le royaume israélite du Nord conspirer avec la Syrie pour attaquer Jérusalem (verset 37 ; Ésaïe 7). Intervenant pour le compte d’Achaz, les Assyriens empêchèrent la réussite du pacte entre la Syrie et Éphraïm, mais ils firent payer un tribut à Juda.
Les rois assyriens suivants, Salmanasar V et Sargon II, assiégèrent Samarie pendant trois ans, mettant fin à l’Israël du Nord et déportant la majorité de la population dans des régions situées au-delà de l’Euphrate à partir de 722 environ (2 Rois 17 : 5‑6). En 701, les Assyriens revinrent avec, à leur tête, Sanchérib et ils conquirent toutes les villes fortifiées de Juda (voir le récit des chapitres 36 et 37 d’Ésaïe, repris de 2 Rois 18‑19).
Ésaïe a également prophétisé la venue du Messie, à la fois dans son premier et second avènement : « Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, et la domination reposera sur son épaule ; on l’appellera Admirable, Conseiller, Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix. Donner à l’empire de l’accroissement, et une paix sans fin au trône de David et à son royaume, l’affermir et le soutenir par le droit et par la justice, dès maintenant et à toujours : Voilà ce que fera le zèle de l’Éternel des armées » (9 : 5‑6). Ce thème revient aux chapitres 42, 52 et 53.
Finalement, même l’Assyrie allait être punie pour tout ce qu’elle avait fait (10 : 12‑19).
Une période de restauration s’installera sur Israël et Juda lorsque le Messie viendra au temps de la fin et que le royaume de Dieu sera établi sur terre (Chapitre 11). Cette partie se termine par un chant de louanges en six versets (Chapitre 12) qui célèbre le nouveau monde édifié par Dieu.
« Sentences » prophétiques
À la suite des chapitres 6 à 12, figurent des passages exprimant des aspects à court et long terme pour le monde entier. Le « jour de l’Éternel » (ou jour du Seigneur) marque le jugement de Dieu infligé au péché humain, à la fois dans l’immédiat et dans un âge à venir (qu’Ésaïe appelle « la suite des temps » en 2 : 2).
À partir du chapitre 13, les nations qui entourent le pays d’Israël sont abordées dans un vaste ensemble prophétique. D’abord, on trouve une vision d’Ésaïe au sujet des Babyloniens qui, écrit-il, seront attaqués par leurs voisins mèdes et perses, et vaincus à jamais (versets 17, 19‑22). Le peuple d’Israël sera ensuite en paix et célébrera sa délivrance des Babyloniens (14 : 3‑11).
« Les oracles des chapitres 13 à 23 montrent qu’Israël n’entre que pour partie dans une tragédie plus vaste, “la destruction du pays tout entier.” »
Ceci mène à une partie typologique qui compare l’ascension et la chute du souverain babylonien à l’histoire de Satan : comment l’être angélique Heylel est devenu l’adversaire (satan en hébreu) de Dieu et comment il connaîtra son destin ultime. « Tu disais en ton cœur : Je monterai au ciel, j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, à l’extrémité du septentrion ; je monterai sur le sommet des nues, je serai semblable au Très-Haut. Mais tu as été précipité dans le séjour des morts, dans les profondeurs de la fosse » (voir les versets 12 à 21).
Dans le reste du chapitre 14 et jusqu’au chapitre 19, le texte énumère les nations voisines visées par le jugement divin : Babylone, Assyrie, Philistie, Moab, Syrie, Éthiopie et Égypte. Mais finalement, écrit Ésaïe, il se constituera une amitié tripartite entre l’Égypte, l’Assyrie et Israël au Moyen-Orient : « En ce même temps, Israël sera, lui troisième, uni à l’Égypte et à l’Assyrie, et ces pays seront l’objet d’une bénédiction. L’Éternel des armées les bénira, en disant : Bénis soient l’Égypte, mon peuple, et l’Assyrie, œuvre de mes mains, et Israël, mon héritage ! » (19 : 24‑25).
Destruction et restauration
Dieu a parfois demandé aux prophètes d’incarner des représentations des difficultés à venir. Par exemple, Ésaïe a marché pendant trois ans sans vêtements ni sandales pour refléter la captivité qui attendait l’Égypte et l’Éthiopie entre les mains des Assyriens. Le but était d’avertir Juda de ne pas compter sur ces nations pour trouver de l’aide contre l’Assyrie (Chapitre 20).
Le châtiment prophétisé qui frappera les nations voisines à l’est et au sud est confirmé dans le chapitre suivant qui comprend les oracles contre Babylone, Édom et l’Arabie (Chapitre 21). L’attention se porte ensuite plus particulièrement sur les péchés de Jérusalem et de Juda, et même sur l’intendant du roi, Schebna. Ésaïe s’adresse ensuite à d’autres voisins, situés au nord, Tyr et Sidon, qui souffriront de leur arrogance. Tyr subira soixante-dix années de déclin (Chapitre 23) mais, en définitive, toute la terre paiera le prix du péché (Chapitre 24). Viendra ensuite une restauration générale, lorsque le voile trompeur et la malédiction de la mort qui ont recouvert tous les hommes auront été éliminés (Chapitre 25).
Revenant sur la nécessité pour l’humanité d’être sauvée et sur l’anéantissement des méchants, les deux chapitres suivants traitent du salut de Dieu dans le cadre de l’ultime « jour de l’Éternel » et du rétablissement d’Israël sur ses terres.
« Dieu confirme qu’il veillera sur Israël, désormais en exil, et qu’il le protégera. [...] Malgré sa situation nouvelle et étrange, le peuple est appelé à se fier à la paix que lui offre YHWH. »
Deux autres chapitres reprennent le jugement divin des deux maisons d’Israël, Nord et Sud, en expliquant les raisons sous-jacentes. Le peuple du Nord a succombé à l’orgueil et à l’excès d’alcool : « Malheur à la couronne superbe des ivrognes d’Éphraïm… » (28 : 1). Jérusalem a un traitement particulier à cause de sa tendance à rester aveugle à l’obédience à la voie de Dieu : « Malheur à Ariel, à Ariel ! Cité dont David fit sa demeure ! [...] Fermez les yeux et devenez aveugles ! Ils sont ivres, mais ce n’est pas de vin ; ils chancellent, mais ce n’est pas l’effet des liqueurs fortes. Car l’Éternel a répandu sur vous un esprit d’assoupissement ; il a fermé vos yeux (les prophètes), il a voilé vos têtes (les voyants) » (29 : 1, 9‑10).
Compter sur l’aide de l’Égypte est insensé (30 : 1‑7 ; 31 : 1‑3). Cependant, un jour viendra où Israël sera rétabli car Dieu est patient et clément (30 : 18‑26). Même si Dieu laissera les Assyriens attaquer, ils seront eux aussi vaincus entre ses mains (versets 27‑31 ; 31 : 8‑9).
Ésaïe prédit ensuite un futur roi pieux qui régnera selon la justice (Chapitre 32 ; 33 : 17) et un royaume qui sera toujours en paix (32 : 16‑20). Toutes les nations seront jugées (34 : 1‑4) et le peuple voisin d’Édom recevra un châtiment particulier (versets 5‑17). Israël deviendra un repère lumineux et une bénédiction de Dieu, tant physiquement que spirituellement (Chapitre 35).
L’histoire des rapports entre Juda et l’Assyrie est reprise aux chapitres 36 à 39. Les envahisseurs, sous la direction de leur roi, Sanchérib, ont attaqué et capturé les villes fortifiées de Juda durant la quatorzième année du règne d’Ézéchias (36 : 1). D’après l’historique séculier, le siège mené par Sanchérib a eu lieu en 701, ce qui sous-entend qu’Ézéchias est monté sur le trône en 715. Cependant la datation qui figure dans la Bible suggère plutôt l’année 729 ou 727, ce qui amènerait sa quatorzième année en 715 ou 713. Cette divergence peut être résolue si Juda a eu des souverains dont les règnes se sont chevauchés et si Israël a eu deux rois en même temps, l’un à l’ouest du Jourdain et l’autre à l’est.
La narration de cette période de l’histoire de Juda termine la première partie du livre d’Ésaïe. La prochaine fois, nous nous pencherons sur la seconde partie, qui va des chapitres 40 à 66.
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