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(PARTIE 6)
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Nous poursuivons notre étude du livre de la Genèse à partir du chapitre 38, qui constitue une parenthèse dans l’histoire de Joseph. Ses frères l’avaient vendu en esclavage, ce qui allait les séparer pendant environ 22 ans. Celui qui avait proposé l’affaire s’asservit lui-même d’une autre façon : en effet, Juda quitta la contrée vallonnée qu’il habitait pour descendre dans la plaine côtière et y vivre au sein du peuple local en épousant une femme cananéenne (Genèse 38 : 1‑2) dont il eut trois fils, Er, Onan et Schéla. L’épisode de la vie de Juda passé loin de son père et de ses frères correspond à la plupart des années jusqu’à ce qu’il retrouve Joseph.
Dans le résumé de l’histoire familiale de Juda, la Genèse rapporte que son aîné s’est marié avec la Cananéenne Tamar. Comme chez d’autres membres de la famille de Jacob, les problèmes de moralité n’ont pas tardé à apparaître. Dans le cas d’Er, sa méchanceté causa sa mort par la main de Yahvé, laissant sa veuve sans descendance devenir l’épouse d’Onan pour en avoir des enfants (en vertu de la loi du lévirat). Onan se révéla incapable de manifester un tel altruisme et, bien qu’il ait semblé heureux de ses rapports avec Tamar (la forme verbale en suggérant plusieurs), il pratiquait le coït interrompu afin d’échapper à l’obligation de « suscite[r] une postérité à son frère » (verset 8, Nouvelle Édition de Genève 1979). C’est pourquoi Dieu intervint en prenant sa vie.
« Là [dans le livre de la Genèse] plus qu’ailleurs, l’accent est mis sur les relations personnelles ; les thématiques de l’hostilité, du ressentiment, de la séparation et de la réconciliation sont traitées dans toute leur profondeur et leur émotion. »
Juda demanda alors à sa belle-fille de retourner dans la maison de ses parents jusqu’à ce que le troisième de ses fils soit en âge de l’épouser. Mais il y avait un problème : il n’avait jamais eu l’intention de l’unir à Schéla, car il pensait que son fils risquait d’en mourir lui aussi. Tamar se vengea de cette trahison en se déguisant en prostituée et en se jouant de Juda, devenu veuf, pour qu’il lui donne un enfant. Comme il ne savait pas qu’il en était le père, en apprenant que sa belle-fille était enceinte « à la suite de sa prostitution », Juda demanda qu’elle meure brûlée (verset 24). Tamar dévoila ce qui s’était passé, et Juda eut l’honnêteté d’admettre que c’était lui le coupable, qu’il avait manqué à sa parole. Ainsi, Tamar eut des jumeaux, Pérets et Zérach. Pérets allait être l’ancêtre du roi israélite David (Ruth 4 : 18‑22), donc de Jésus-Christ (Matthieu 1 : 3‑16).
Cette parenthèse dans l’histoire de Joseph permet de marquer le repentir de Juda et son statut inchangé dans la lignée de Jacob (contrairement à Ruben), et ce, malgré les mauvaises décisions qu’il avait prises en vendant Joseph et en mentant à leur père. Elle offre également un contraste avec la justesse de l’attitude de Joseph qui, lui, avait résisté à des avances sexuelles.
DES HAUTS ET DES BAS
En Égypte, Joseph était sur une voie prometteuse. Nous apprenons que, tout comme Yahvé avait été aux côtés des patriarches, il était désormais avec Joseph (Genèse 39 : 2, 3, 21, 23). Le chef de la garde du pharaon, Potiphar, l’avait acheté aux marchands ismaélites. Chargé de responsabilités de plus en plus grandes, Joseph semblait établi, jusqu’à ce que ses traits agréables attirent l’attention de l’épouse de son maître. Elle tenta de le séduire à plusieurs occasions, mais Joseph savait que ce serait mal. Démontrant une connaissance de la loi morale de Dieu bien avant la formalisation des Dix Commandements à l’époque de Moïse, il lui dit : « Comment ferais-je un aussi grand mal et pécherais-je contre Dieu ? » (verset 9). Elle insista. Face à son refus définitif, elle attrapa le manteau de Joseph et, par malveillance, le présenta comme preuve qu’il avait tenté de la violer. Sur la base de quoi, Potiphar fit enfermer son esclave. Bien que Dieu lui ait accordé la faveur du gardien de la prison (versets 21‑23), Joseph allait devoir attendre plusieurs années avant d’être libéré.
Dans l’intervalle, deux prisonniers éminents furent incarcérés : un échanson (ou sommelier) et un panetier (ou boulanger) de Pharaon. Potiphar les plaça sous la surveillance de Joseph (40 : 4). Ce dernier réussit à interpréter leurs songes et demanda au sommelier qu’une fois relâché, il intercède pour lui auprès de Pharaon. Mais Joseph allait être déçu : le panetier fut exécuté et l’échanson ne tarda pas à oublier l’homme qui lui avait donné l’interprétation de son rêve (verset 23).
Joseph a donc dû attendre deux années supplémentaires en prison, jusqu’à ce qu’il ait l’occasion d’interpréter deux autres songes importants. Cette fois, Pharaon lui-même en bénéficia. Il avait vu sept vaches en bonne santé remonter d’un cours d’eau pour paître dans une prairie ; sept vaches affreuses et émaciées les suivaient, puis elles les dévorèrent. Le second rêve concernait sept beaux épis poussés sur un seul pied, mais dévorés par sept épis abîmés. Le souverain avait demandé à ses magiciens et conseillers d’expliquer ces images troublantes, mais il n’était pas satisfait de leurs réponses. L’échanson, se souvenant de sa promesse à Joseph, prit alors la parole et décrivit les talents d’interprétation du jeune homme. Le souverain fit appeler le prisonnier et apprit que son aptitude ne venait pas de l’homme lui-même. En effet, « Joseph répondit à Pharaon, en disant : Ce n’est pas moi ! c’est Dieu qui donnera une réponse favorable à Pharaon » (41 : 16). Le souverain précisa ensuite son premier rêve en expliquant que le cours d’eau était le Nil, que les premiers animaux étaient lustrés et gras, et que les autres étaient laids et efflanqués. Pourtant, lorsque les vaches affamées avaient mangé les vaches saines, leur état n’avait pas semblé s’améliorer. Quant au deuxième songe, il le répéta presque mot pour mot.
« Il n’y a aucune indication de Dieu s’adressant directement à Joseph comme il l’avait fait avec Abraham, Isaac et Jacob. Pourtant Joseph avait la foi car il croyait en la Parole divine passée successivement d’Abraham à Isaac, puis à Jacob. »
D’après Joseph, les rêves portaient le même message : une prédiction de sept années d’abondance et de sept années de famine en Égypte et dans les pays avoisinants (versets 25‑32). Il conseilla de nommer un responsable pour surveiller la collecte de réserves dans les greniers de la ville, à raison de 20 % pendant les sept ans d’opulence. Sous le contrôle de Pharaon, ce système pourrait nourrir le pays malgré la pénurie.
En conséquence, le souverain égyptien nomma Joseph, alors âgé de 30 ans, au poste de vizir (Premier ministre) afin de superviser le secours aux affamés : « Pharaon ôta son anneau de la main, et le mit à la main de Joseph ; il le revêtit d’habits de fin lin, et lui mit un collier d’or au cou. Il le fit monter sur le char qui suivait le sien ; et l’on criait devant lui : À genoux ! C’est ainsi que Pharaon lui donna le commandement de tout le pays d’Égypte » (versets 42‑43).
UNE RUPTURE AVEC SON PASSÉ ?
On peut s’étonner que Joseph n’ait pas repris contact avec son père après son ascension au sein du gouvernement égyptien. Cependant, en étudiant attentivement le texte, on peut envisager une explication raisonnable.
Joseph a peut-être fini par croire que la colère de Jacob à propos des rêves d’élévation au-dessus de son père, de sa mère et de sa fratrie (37 : 9‑11) avait poussé son père à l’exposer inutilement au ressentiment de ses frères, en l’envoyant les chercher près de Sichem où ils faisaient paître leur bétail (versets 12‑14). Ils avaient effectivement projeté de tuer le garçon, avant de décider de le vendre en esclavage. Joseph a sans doute conclu que son père était irrémédiablement fâché avec lui, tout comme il l’avait été avec Siméon et Lévi après leur attaque de Sichem (34 : 30 ; 49 : 5‑7), puis avec Ruben après qu’il avait couché avec la concubine de son père (35 : 22 ; 49 : 4).
La sensation d’abandon de Joseph peut expliquer son choix d’entamer une vie nouvelle en Égypte sous une autre identité ; Pharaon lui a en effet donné un nom différent, Tsaphnath-Paenéach (« Dieu parle et il est vivant »), et une épouse égyptienne, Asnath, dont il aura deux fils, Manassé et Éphraïm. À propos du nom hébreu de l’aîné, Joseph a expliqué : « Dieu m’a fait oublier toutes mes peines et toute la maison de mon père » ; et à propos du second, « Dieu m’a rendu fécond dans le pays de mon affliction » (41 : 51‑52). Ces paroles prouvent la continuité de l’attachement de Joseph au Dieu de ses pères, malgré son mariage avec la fille d’un prêtre d’On, adorateur du soleil.
LE PLAN DE JOSEPH
Quand la famine se répandit, Pharaon envoya son peuple acheter leur nourriture à Joseph. Comme les pays voisins subissaient le même sort, des étrangers commencèrent à venir s’approvisionner en Égypte. C’est ainsi que Joseph allait retrouver ses frères plus de vingt ans après leur dernière rencontre. Jacob avait envoyé dix de ses fils chercher de la nourriture en Égypte, gardant avec lui Benjamin, le jeune frère de Joseph (42 : 1‑4). Sans doute craignait-il de perdre le fils qui lui restait de Rachel.
Quand ses frères arrivèrent, Joseph les reconnut mais il ne dévoila pas son identité. Accomplissant sans le savoir le rêve prophétique qui avait tant agité leur famille, ils se prosternèrent devant lui. En réponse, il demanda d’où ils venaient et les accusa d’être des espions. Ils s’en défendirent, affirmant être honnêtes, faire partie d’une famille de douze fils dont le père vivait en Canaan, et précisant également que le plus jeune était resté avec leur père et qu’un fils était mort. Prétextant ne pas les croire, Joseph leur fit passer trois jours en prison, puis proposa de leur procurer du blé à ramener chez eux, à condition que l’un d’eux reste en garantie jusqu’à ce qu’ils reviennent avec leur plus jeune frère pour prouver la véracité de leur histoire.
Les frères pensèrent immédiatement à ce qu’ils avaient fait à Joseph. Se rappelant les supplications de leur frère, ils étaient envahis de culpabilité : « nous avons vu l’angoisse de son âme, quand il nous demandait grâce, et nous ne l’avons point écouté ! C’est pour cela que cette affliction nous arrive » (verset 21). L’aîné, Ruben, était particulièrement abattu car il avait tenté de dissuader ses frères d’accomplir leur forfait (verset 22 ; 37 : 21‑22).
Joseph écouta tout ce qu’ils disaient, ses frères pensant qu’il ne comprenait pas l’hébreu puisqu’un interprète était présent (42 : 23). Il décida que Siméon, le plus âgé après Ruben, resterait sur place, puis il les renvoya avec des vivres mais, en secret, il replaça dans leurs sacs l’argent qu’ils avaient donné pour payer le blé. Une fois rentrés en Canaan, ils furent troublés par cette découverte, de même que leur père.
La perte de Joseph, le chantage avec Siméon, ainsi que l’exigence que Benjamin parte en Égypte, tout cela était trop pour Jacob : « Vous me privez de mes enfants ! Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, et vous prendriez Benjamin ! C’est sur moi que tout cela retombe » (verset 36). À ce moment-là, Ruben se porta garant de la sécurité de Benjamin si son père autorisait son plus jeune frère à se rendre en Égypte. Jacob était réticent mais la famine s’intensifia au point que leur réserve de blé s’épuisa et qu’un retour en Égypte devint leur seul recours.
L’INTRIGUE S’ÉPAISSIT
Juda, qui avait suggéré de vendre Joseph aux marchands d’esclaves, proposa alors de se porter garant de Benjamin si Jacob laissait partir son plus jeune fils. Le père accepta à contrecœur, en leur disant de prendre en cadeau du baume, du miel, des épices, de la myrrhe, des pistaches et des amandes ; même s’il restait des vivres en Canaan, le pays manquait du blé si nécessaire. Ils devaient aussi prendre deux fois plus d’argent que la fois précédente, ainsi que celui qu’ils avaient trouvé dans les sacs de blé (43 : 11‑12).
Lorsqu’ils arrivèrent en Égypte, Joseph donna des consignes pour qu’ils soient amenés chez lui. Effrayés, ils supposèrent que l’argent remis dans leurs sacs en était la cause et qu’ils allaient être condamnés à l’esclavage et dépossédés. L’intendant de Joseph les rassura en leur disant qu’il avait reçu la somme due (Joseph avait probablement payé sur ses fonds personnels) et que ce qui avait été restitué leur appartenait. Siméon, libéré, retrouva ses frères.
Lorsque Joseph revint chez lui, ils furent amenés devant lui. En lui offrant leurs présents, ils se prosternèrent, accomplissant encore le rêve prophétique. Joseph demanda si leur père était encore en vie. En répondant, ils s’inclinèrent de nouveau. Joseph, ayant appris que son père se portait bien, souhaita savoir si le plus jeune d’entre eux était Benjamin. Soudain, à la vue de son frère après tant d’années, il ne put contenir son émotion. Il quitta la pièce pour se reprendre, puis revint dîner avec eux, s’assurant que l’assiette de Benjamin était mieux servie que toute autre. Il les plaça à table du plus âgé au plus jeune, ce qui les surprit : comment savait-il ?
« Désormais, Joseph et ses frères étant réconciliés, le récit peut aborder la naissance de la nation d’Israël, passant de l’épreuve de l’esclavage à l’affranchissement en tant que peuple sous la souveraineté de Dieu. »
Joseph était sur le point de passer à la phase suivante de son projet de réunir toute sa famille en Égypte. Il ordonna à son intendant de remplir de blé les sacs de ses frères, de leur redonner leur argent en secret comme la dernière fois, et d’ajouter sa coupe en argent dans le sac de Benjamin. Peu après leur départ vers Canaan, il envoya son intendant à leur poursuite pour les accuser de vol. Ils étaient stupéfaits : pourquoi auraient-ils volé quoi que ce soit ? Certains d’être innocents, ils autorisèrent la fouille et assurèrent que, si l’on trouvait quelque chose sur l’un d’eux, ce dernier serait mis à mort et que les autres deviendraient esclaves. Par ce test, Joseph voulait savoir s’ils allaient abandonner Benjamin comme ils l’avaient fait avec lui, pour satisfaire leur intérêt.
Le choc fut tel à la découverte de la coupe d’argent qu’ils déchirèrent leurs vêtements, puis repartirent affronter Joseph. Prétendant les avoir démasqués par divination, Joseph accepta leur déclaration de culpabilité et leur annonça qu’il ferait de Benjamin un esclave alors que les autres pourraient repartir chez leur père. C’est donc un Juda éperdu qui s’est adressé à Joseph pour lui rappeler la situation de leur père : âgé, avec un fils préféré né dans la fin de sa vie, et privé d’un autre fils. Il expliqua que Jacob mourrait si Benjamin ne revenait pas. Il supplia Joseph de le garder à la place de son jeune frère. C’était en réalité la reconnaissance par Juda de sa culpabilité dans la vente de Joseph. Cette fois, il était prêt à prendre la place du préféré de son père, Benjamin. Sa démarche reflétait aussi combien les frères se souciaient de leur père, une préoccupation qu’ils n’avaient pas manifestée lorsqu’ils avaient vendu Joseph puis trompé Jacob sur sa disparition.
Joseph ne pouvait plus se retenir. Renvoyant toutes les personnes présentes hormis ses frères, il leur révéla en pleurant qui il était. De nouveau abasourdis, ses frères ne savaient pas quoi dire. Joseph réexpliqua qui il était, en leur précisant cette fois de ne pas s’inquiéter de ce qu’ils lui avaient fait, car « Dieu m’a envoyé devant vous pour vous faire subsister dans le pays, et pour vous faire vivre par une grande délivrance » (Genèse 45 : 7).
Anticipant plusieurs années difficiles, Joseph leur demanda de ramener en Égypte Jacob et toute sa maisonnée : « Hâtez-vous de remonter auprès de mon père, et vous lui direz : Ainsi a parlé ton fils Joseph : Dieu m’a établi seigneur de toute l’Égypte ; descends vers moi, ne tarde pas ! Tu habiteras dans le pays de Gosen, et tu seras près de moi, toi, tes fils, et les fils de tes fils, tes brebis et tes bœufs, et tout ce qui est à toi. Là, je te nourrirai, car il y aura encore cinq années de famine ; et ainsi tu ne périras point, toi, ta maison, et tout ce qui est à toi » (9‑11).
L’émouvante réunion s’est poursuivie avec l’énonciation des faveurs du Pharaon. Ils devaient recevoir toute l’aide nécessaire pour revenir avec leur père en Égypte, où ils vivraient en ne manquant de rien (versets 17‑18).
UNE FAMILLE RÉUNIE
À l’arrivée de ses fils, Jacob lui non plus n’arrivait pas à croire leur histoire. Joseph, vivant ? Impossible ! Ils ont néanmoins réussi à le convaincre et, ensemble, ils sont repartis en passant par Beer-Schéba. Dieu y apparut à Jacob, disant : « Je suis Dieu, le Dieu de ton père. Ne crains point de descendre en Égypte, car là je te ferai devenir une grande nation. Moi-même je descendrai avec toi en Égypte, et moi-même je t’en ferai remonter ; et Joseph te fermera les yeux » (46 : 3‑4).
Jacob et sa descendance comptaient soixante-dix personnes, en incluant les fils de Joseph mais sans les belles-filles, les gendres et la plupart des petites-filles (versets 26‑27). En conséquence, le groupe englobait peut-être plus de 300 personnes avec les serviteurs et les autres membres de la famille. Tous se sont rendus dans le pays de Gosen, une contrée riche en pâturages que l’on situe généralement dans l’est du delta du Nil.
Ce fut là que Joseph retrouva son père pour la première fois depuis leur lointaine séparation. Joseph avait prévu une rencontre entre certains d’entre eux et Pharaon, afin que ce dernier leur accorde des terres en Gosen, puisqu’ils étaient éleveurs de troupeaux. Leur métier les maintiendrait à distance des Égyptiens qui n’estimaient pas beaucoup les bergers. Pharaon se montra obligeant, offrant même un emploi à tous ceux qui étaient capables de diriger des troupeaux. Lorsqu’il rencontra Jacob, Pharaon l’interrogea sur son âge. La réponse de Jacob fut éloquente et honnête, tout en reflétant une vie empreinte d’une grande tristesse : « Les jours des années de ma vie errante sont de cent trente ans. Les jours des années de ma vie ont été peu nombreux et mauvais, et ils n’ont point atteint les jours des années de la vie errante de mes pères » (47 : 9).
Tandis que la famine continuait de sévir, Pharaon obtenait peu à peu le contrôle de toute la terre d’Égypte en échange de blé, grâce à Joseph et à sa gestion avisée des ressources (versets 13‑26).
Jacob a vécu encore 17 ans en Égypte et sa famille s’est agrandie. Vers la fin de sa vie, il appela Joseph auprès de lui pour qu’il lui promette de l’enterrer avec ses pères en Canaan. Peu après, Jacob tomba malade ; Joseph emmena ses deux fils Manassé et Éphraïm lui rendre visite. Jacob rappela à son fils la promesse divine sur sa descendance et ses biens : « Le Dieu Tout-Puissant m’est apparu à Luz, dans le pays de Canaan, et il m’a béni. Il m’a dit : Je te rendrai fécond, je te multiplierai, et je ferai de toi une multitude de peuples [ce qui s’était réalisé au moment de leur grand départ d’Égypte ; voir Exode 1 : 7] ; je donnerai ce pays à ta postérité après toi, pour qu’elle le possède à toujours » (Genèse 48 : 3‑4).
« La grande tragédie nationale de l’esclavage et de l’Exode va se dérouler. Le livre de la Genèse se termine néanmoins par l’assurance d’une rédemption. Le peuple d’Israël possédera le pays promis par Dieu dans ses serments aux patriarches. »
C’est avec cette pensée que Jacob a alors distingué deux des fils de Joseph nés en Égypte, en les bénissant tout particulièrement et en les intégrant dans la famille d’Israël. Tendant les bras vers les deux garçons, Jacob croisa les mains pour placer la droite sur la tête du plus jeune et lui donner la bénédiction de l’aîné. La Genèse nous offre ici encore un dénouement inattendu, notamment en ce qui concerne celui qui est choisi et celui qui ne l’est pas : Ismaël et Isaac, Jacob et Ésaü, Ruben et Joseph ou Juda (voir 1 Chronique 5 : 1‑2). Plus précisément, les garçons entraient dans la lignée familiale d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (Genèse 48 : 16) malgré leur ascendance à demi égyptienne. Ensemble, ils allaient « multiplier en abondance au milieu du pays ». Joseph tenta de corriger l’erreur supposée de son père, mais ce dernier insista en confirmant son intention : « Je le sais, mon fils, je le sais ; lui [Manassé] deviendra un peuple, lui aussi sera grand ; mais son frère cadet [Éphraïm] sera plus grand que lui, et sa postérité deviendra une multitude de nations » (verset 19).
Pour ces deux fils de Joseph, l’avenir compterait grandeur et postérité, mais les descendants d’Éphraïm allaient devenir prédominants, pas toujours numériquement (voir Nombres 1 : 32‑35 et 26 : 28‑37) mais en termes d’autorité. Après le retour des enfants d’Israël en Terre promise, le nom « Éphraïm » s’est finalement appliqué aux tribus du nord d’Israël, c’est-à-dire une multitude de nations, peuples et tribus (voir Ésaïe 7 : 2, 5, 9, 17 ; Osée 9 : 3‑16).
DES BÉNÉDICTIONS DIVERSES
Jacob, sachant que ses jours arrivaient à leur terme, annonça à Joseph qu’après sa mort, le Dieu qu’ils servaient ramènerait la famille en Canaan, prophétisant ainsi l’Exode (Genèse 48 : 21). Peu après, il a invité ensemble tous ses fils pour expliquer ce qui les attendait dans leurs tribus respectives, selon leur caractère et leur histoire individuels.
La débauche de Ruben, qui avait remplacé son père auprès de Bilha la concubine, était à l’origine de la perte de son droit d’aînesse. Son caractère affectivement instable impliquait qu’il ne brillerait pas comme il convient s’il occupait sa position dominante dans la famille (verset 3‑4).
Le texte marque ensuite la dissociation entre le caractère de Jacob et celui de ses deuxième et troisième fils, Siméon et Lévi, en rappelant leur colère virulente et leur violence extrême à l’encontre des hommes de Sichem (Genèse 34) : « Maudite soit leur colère » (49 : 7). Ils étaient destinés à être dispersés parmi les tribus d’Israël à venir, au lieu de posséder des terres.
En fait, les trois premiers fils n’ont pas été bénis, ils ont été placés devant les conséquences de leurs caractéristiques profondes. Avec Juda, l’axe n’est plus le même : il devait hériter en partie de la bénédiction retirée au premier né : « Juda, tu recevras les hommages de tes frères ; ta main sera sur la nuque de tes ennemis. Les fils de ton père se prosterneront devant toi. [...] Le sceptre ne s’éloignera point de Juda. Ni le bâton souverain d’entre ses pieds, jusqu’à ce que vienne le Schilo [le Messie], et que les peuples lui obéissent » (versets 8, 10). Avec le temps, la tribu de Juda prit une fonction dominante puissante, symbolisée par un lion (verset 9). Et finalement, le Messie viendra de cette tribu (verset 10).
Zabulon était appelé à devenir une tribu implantée au bord de la mer, proche de Sidon sur la Méditerranée (verset 13). Dans l’histoire d’Israël, la tribu de Zabulon était bordée à l’est et à l’ouest par d’autres tribus israélites, mais son installation sur de grandes routes commerciales a facilité ses affaires, y compris son commerce maritime. D’après la prophétie, non loin de là, Issacar deviendra un agriculteur robuste, quoique prédisposé à une vie plus facile (versets 14‑15) ; il profitera également de sa proximité avec la mer et du commerce terrestre (Deutéronome 33 : 18‑19).
Dan sera un juge et un bon combattant, dans l’espérance du secours de Yahvé (Genèse 49 : 16‑18). De même, Gad sera attaqué, mais ripostera (verset 19). Son territoire se trouvera à l’est du Jourdain, soumis aux invasions venues du désert, d’où la nécessité d’une surveillance constante.
Jacob ne fit que deux remarques à propos d’Asher : il mangera de la nourriture riche ou grasse, et fournira des mets fins à des rois (verset 20). Après le retour des Israélites dans le pays, son territoire s’étendra le long de la côte méditerranéenne et sera renommé pour sa production d’olives. Un verset court explique que Nephthali allait être libre comme une biche, agile au combat et doué d’éloquence. Ces caractéristiques se manifesteront plus tard dans l’histoire de la tribu (voir Juges 4 : 1‑24 et 5 : 1‑31).
Les deux dernières bénédictions de Jacob concernent les deux fils qu’il a eus de Rachel, Joseph et Benjamin. Qu’adviendrait-il d’eux plus tard ?
Benjamin est décrit comme un guerrier semblable au loup : il allait lutter et vaincre, déchiqueter, et partager le butin (Genèse 49 : 27). Plus loin, les Écritures indiquent que, dans les années à venir, plusieurs combattants descendraient de Benjamin.
Dans le récit de la dernière bénédiction de Jacob, le passage le plus long est consacré à Joseph (versets 22‑26). Il s’intéresse à la fertilité et à la richesse dont il sera gratifié à travers ses descendants, Éphraïm et Manassé, qui ensemble représenteront la plus grande des tribus. Ces versets rappellent les nombreuses années de lutte de Joseph contre des persécuteurs, et sa résistance spirituelle, sa foi et sa confiance en Dieu, lequel est évoqué sous cinq noms différents : le Puissant de Jacob, le berger, le rocher d’Israël, le Dieu de ton père, et le Tout-Puissant.
« Cette conclusion [Genèse 50] est essentielle à la dramaturgie biblique de la rédemption car, si des frères ne peuvent vivre ensemble, comment des nations le peuvent-elles ? Et si des nations ne peuvent vivre ensemble, comment le monde des hommes peut-il survivre ? »
LA FIN DES PATRIARCHES
Après avoir terminé son énumération et sa bénédiction, Jacob a expliqué qu’il devait être enterré non loin de Mamré, avec les membres de sa famille, Abraham et Sara, Isaac et Rebecca, et auprès de son épouse Léa (versets 29‑31). Dès ses dernières paroles prononcées, il mourut. Les Égyptiens observèrent un deuil de soixante-dix jours, son corps fut embaumé selon le rite de son pays d’accueil, puis Pharaon autorisa qu’il fût emmené en Canaan pour y être enterré.
Naturellement, les frères de Joseph étaient plutôt inquiets, craignant qu’après la mort de leur père, Joseph ne se venge d’eux. Dans un message, ils lui dirent que, sur l’ordre de Jacob, ils devaient solliciter son pardon. La réponse de Joseph fut égale à lui-même : « Soyez sans crainte ; car suis-je à la place de Dieu ? Vous aviez médité de me faire du mal : Dieu l’a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux » (50 : 19‑21).
La mort de Joseph lui-même a apporté d’importants changements dans la vie des membres de sa famille, mais elle ne surviendra pas avant 54 autres années. Avant de s’éteindre à 110 ans, il connaîtra trois générations des enfants d’Éphraïm et de Manassé. Il sera embaumé et placé dans un cercueil (verset 26), dans l’attente de l’accomplissement des paroles prophétiques qu’il avait adressées à sa famille : « Dieu vous visitera ; et vous ferez remonter mes os loin d’ici » (verset 25).
Ainsi se termine le premier livre de la Bible, par un épilogue laissé plutôt en suspens quant à ce que les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob vivraient en Égypte, à l’époque de Joseph.
Nous reprendrons La Loi, les Prophètes et les Écrits au livre de l’Exode.
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